jeudi 23 octobre 2008

Cette modernité qui nous tient...

Notre vie moderne ressemble fort à celle des fous. Sans arrêt, nous courons dans tous les sens. Nous quittons nos maisons en courant. Nous partons de nos lieux de travail en courant. Nous courons pour rattraper le prochain train, pour nous rendre à l’aéroport et prendre le prochain vol, pour chercher nos enfants à l’école, pour chercher des croissants à la pâtisserie du coin. Dernièrement, l’un de mes amis qui avait des problèmes de ménage se confia à moi, désespéré. Il me raconta comment lui et sa femme faisaient l’amour en courant. Ils expédiaient tout comme s’ils appuyaient mécaniquement sur une gâchette. Nous nous levons en courant pour décrocher le téléphone. Quand bien même nos téléphones sont devenus mobiles et donc collés à nous, nous continuons à sursauter à chaque sonnerie ou chaque vibration. Nous faisons courir nos âmes qui n’arrivent toujours pas à s’habituer à ces sollicitations intenses.

Nous sommes comme pris dans un tourbillon qui se nourrit de l’accélération du rythme de notre monde et de nos propres prétentions au succès immédiat. L’on veut un développement rapide, un enrichissement rapide, une promotion rapide, du sexe rapide, de l’argent rapide…

Fini les moments où l’on se mettait en famille, prenant du temps pour écouter les contes de grand-mère et les aventures de grand-père. Fini les périodes où l’on allait passer du temps avec des amis, pour rire ensemble, refaire nos passés glorieux et ténébreux. La vie moderne nous impose désormais de courir, encore courir et toujours courir. Aux arrêts de bus, aux portes des métros, ils sont comme des fous, ces hommes et femmes qui, les visages serrés et sombres, foncent droit, comme des bêtes féroces cherchant à arracher leur proie.

Au-dedans de nous-mêmes, nous vivons mal cette accélération des choses. Nous n’arrivons pas à nous habituer à ce rythme effréné dans lequel notre monde s’est retrouvé piégé. Tout ce passe comme si nos corps sont déconnectés de nos esprits qui sont souvent projetés au loin, par les illusions que nous plaçons devant nous et par le rythme effréné des choses qui nous décompose. Les humains que nous sommes ressentent alors un dualisme de plus en plus amplifié et déchirant.

Nous nous retrouvons sans le moindre espace de réunification entre nos corps et nos esprits, espace nécessaire à la construction d’un calme intérieur. Nous sommes ainsi de plus en plus soumis à l’angoisse. Nous sommes stressés et terrifiés, déboussolés, perdus dans un destin tragique. Lors de ma récente visite au Japon, société hautement matérialiste, j’ai appris que les trains prenaient souvent du retard à cause des jeunes qui se donnent la mort en se jetant sur les rails. Ils n’arrivent plus à résister à la peur du lendemain, à l’incertitude et à la pression croissante sur eux exercée par la société soumise à l’idole du succès. En effet, comment résister à pareille tension, surtout lorsqu’on est seul, perdu dans ces sociétés de plus en plus individualistes, sans avoir une communauté de vie à qui l’on peut rendre compte, et où l'on y trouve une sorte de thérapie qui nous fait revivre ?

Notre monde a besoin de changer son rapport à la vitesse, en fait au temps. Pourquoi aller si vite ? Que ferons-nous quand nous aurons fini de tout bruler, à cause de notre rythme endiablé ? La crise de l’énergie est là pour nous interpeller. Où irons-nous quand à force de vouloir nous développer trop vite nous aurons fini d’enfumer notre monde avec le monoxyde de carbone, de faire de gros trous dans la couche d’ozone, de détruire notre environnement? Ne serait-il pas trop tard de réaliser que « rien en sert de courir mais il faut partir à point » ?

Partir à point, c’est me semble-t-il, tout en étant engagé dans le monde, se donner un espace de réunification de notre corps et de notre esprit. Quand nous avons le temps de nous asseoir, de nous détacher, de méditer et de construire une conscience intérieure, nous commençons à renaître et à fleurir. Nous commençons à apprécier le don de la vie. Nous devenons lucides et aptes à faire la différence entre ce qui est futile et ce qui ne l’est pas. Nous réalisons qu’au fond, il est possible de vivre heureux sans accumuler toutes ces choses que notre monde moderne nous fait miroiter, et qui nous font courir sans arrêt.

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